Cet article est une mise à jour de sa version originale de 2016.
On ne présente plus le test de Bechdel, concept à la fois très simple et sophistiqué qui permet de se faire une idée sur la place des personnages féminins dans un livre ou un film. Il fait partie de ces éléments qui œuvrent pour la parité dans la fiction. Pourtant, ce test est loin d’être parfait.
Le test de Bechdel en bref
Pour l’historique, je vous renvoie sur la page Wikipedia, très complète. Je vais juste en rappeler le principe. Ce test est très simple à effectuer. Il suffit de passer un récit au crible des trois points suivants.
1 – L’oeuvre comporte (au moins) deux femmes identifiables.
2 – Ces deux femmes parlent entre elles.
3 – Leur conversation porte sur autre chose qu’un personnage masculin.
Quand ces trois conditions, on considère que le test est réussi. Dans les faits, bon nombre de fiction n’y parviennent pas.
Le test lui-même est souvent défini comme un moyen de savoir si une oeuvre est sexiste ou non. Ce qui est faux, le simple fait de réussir le test ne permet pas de démontrer si c’est le cas ou non. Le test permet surtout de sensibiliser sur la question de la prédominance des caractères masculins dans la plupart des fictions. Ce qui est déjà pas mal !
Y’a un hic dans la potache
Ecrivez une histoire comprenant vingt protagonistes, deux femmes et dix-huit hommes. Ecrivez une seule scène avec les deux femmes et faites en sorte qu’elle réponde aux trois critères. Vous avez un récit qui ne comprend que 10% de femmes, ces dernières occupent probablement moins de 5% de l’espace narratif et pourtant vous réussissez le test de Bechdel. Vous vous dites que c’est gros ? Imaginez que l’histoire en question se déroule dans une jungle vietnamienne, dans les années 1960 avec des GI pour protagonistes principaux.
Le test en lui-même est une excellente chose et j’y adhère à 100%. Mais il est très facile de le contourner. Les grandes firmes hollywoodiennes appellent ça « passer le script au filtre du Bechdel ». Parfois, c’est fait avec finesse, parfois c’est totalement grossier et ne sert en rien la cause des femmes dans la fiction. J’appelle ça, le moment Bechdel.
Alors, c’est deux meufs qui parlent…
Soudain, une pause dans l’intrigue. Deux copines évoquent un souvenir, leur problème d’appartement, les horaires du métro ou leurs derniers achats (souvent vestimentaires). Bienvenue dans le moment Bechdel !
Quand c’est bien fait, cela peut éventuellement donner de la profondeur aux personnages, mais le plus souvent ça ne sert qu’à valider le test. Je soupçonne même certains scénaristes d’en rajouter une couche histoire de souligner l’absurde de la chose. Visionnez l’extrait suivant, vous vous ferez une bonne idée de ce que j’entends par là… Il est tiré d’American Reunion (oui, j’ai commis l’erreur de le regarder un jour).
Oui, bon d’accord… Je vous ai sorti du lourd, du très très lourd, même ! Dans tous les sens du terme. Voilà une illustration parfaite que l’on peut réussir le test techniquement parlant, en étant très éloigné de l’esprit d’Allison Bechdel et Liz Wallace…
Et mes livres, dans tout ça ?
J’ai effectué le test sur mes écrits, notamment ceux que j’ai composés avant que j’apprenne son existence. Une majorité le passe sans trop de difficultés, sauf un, L’Aurochs Rouge.
Le premier tome de la Chimeterre ne manque pourtant pas de personnages féminins, pas moins de six y sont nommées, pour certaines avec des rôles importants. Cependant, la manière dont j’ai construit l’intrigue entraîne une conséquence drastique. Les caractères féminins échangent pratiquement aucune ligne de dialogue. Ce n’est heureusement pas le cas des tomes suivants.
En 2016, j’ai révisé et augmenté l’Aurochs Rouge. A cette occasion, j’aurai aisément pu ajouter un passage pour répondre aux critères du test de Bechdel. Je ne l’ai pas fait, il y a plusieurs raisons à cela.
Les trois lois de…
A certain égard, le test me fait penser au trois lois de la robotique d’Azimov. A l’instar des trois conditions du Bechdel, elles sont apparues dans une oeuvre de fiction. Ces deux concepts sont désormais utilisés dans la « vraie vie ». Les trois lois sont intégrées à la robotique actuelle, tandis que le Bechdel sert à évaluer les livres et les films. Et tous les deux connaissent un vice de conception. Azimov c’est lui-même rendu compte des limites de ses trois lois et à ajouter une « loi zéro » pour y pallier.
Dans le cas des consignes de Bechdel, à l’origine il s’agit d’une « blague » visant à démontrer par l’absurde l’hégémonie des personnages masculins dans la fiction. On ne peut donc pas leur tenir rigueur de ne pas être parfaites. Toutefois, on a vu qu’il est assez facile de priver ce test de son essence et de son esprit.
C’est pourquoi, à ma manière et sans prétention aucune, j’ai tendance à ajouter une quatrième condition, une sorte de Bechdel+ :
1 – L’oeuvre comporte (au moins) deux femmes identifiables.
2 – Ces deux femmes parlent entre elles.
3 – Leur conversation porte sur autre chose qu’un personnage masculin.
4 – La conversation fait progresser l’intrigue.
On peut le formuler différemment, mais l’idée est que si une discussion entre deux personnages féminins permet de faire progresser l’histoire sans qu’il soit mention d’un personnage masculin, au moins une des deux femmes est moteur dans l’intrigue. Ceci, incontestablement, ne peut pas s’improviser en ajoutant un dialogue bidon.
Pour en revenir à nos Aurochs
Lors de la révision de L’Aurochs Rouge, je n’ai tout simplement pas trouvé de scène à ajouter qui réunissent ces quatre critères. Et je n’allais pas appliquer dans mes écrits une méthode que je dénie. Le roman comprend suffisamment de femmes fortes ou importantes pour l’intrigue. Ces révisions ont notamment servi à étoffer l’un des personnages féminins, avec un apport qui sans être fondamental, est réel. Et je préfère cela plutôt que sacrifier à une fausse éthique.
Le test de Bechdel ne peut pas permettre de juger un roman ou un film, mais il est à la fois une bonne indication sur l’équité des genres dans une oeuvre de fiction, et un bon moyen d’en dénoncer certaines dérives, ou réflexes qui ne devraient plus avoir lieu au XXIe siècle. Il y aura toujours des histoires qui échoueront à réunir tous les critères, de part l’univers, le sujet, le cadre historique… Tout comme certaines histoires peuvent échouer à passer un test de Bechdel inversé (un récit dans un pensionnat pour jeunes filles, par exemple).
Mais je crois que dans les récits de l’imaginaires, où les univers peuvent être libérés des carcans qui nous entravent encore, parfois de façon inconsciente, rechercher cette équité est une force.