Comment choisir le nom d’un personnage de roman ?

Une des nombreuses questions auxquelles se confronte un auteur, concerne la façon dont il va nommer ses personnages. En apparence, ce choix peut paraître anodin, comparé par exemple au travail sur leur psyché ou leur arc narratif. Pourtant, le nom d’un personnage ne doit pas être pris à la légère. Il est porteur de sens. Alors, comment bien le choisir ?

En quête de sens

Mon nom est :
Imperator Caius Julius IV Caesar Divus
(Va te rhabiller, gamin)

Les noms et prénoms, font partis des éléments qui définissent une personne, fictive ou réelle. Dans la vraie vie, les noms sont tributaires de la culture et de la société dans laquelle nous vivons. Par exemple en occident, l’association nom/prénom n’est pas toujours celle qui a prévalu. Quand vous dites « Jules César ». Jules n’est pas le prénom et César le nom de cet illustre inconnu. Le prénom de Juju, c’est Caius. Et son nom complet était Caius Julius IV. Littéralement le 4e Caius de la famille (gentili) Julia. César étant un titre honorifique qu’il a glané après quelques petites péripéties passées à la postérité.

Dans une oeuvre de fiction, c’est à l’auteur que revient la dure tâche de nommer les personnages. Et pour cela, il devra s’appuyer sur le contexte de son histoire afin que les noms de ses caractères soient cohérents avec elle.

Un nom, c’est d’abord une affaire de contexte

Il est évident que je ne vais pas attribuer le même genre de noms dans un univers totalement imaginaire, comme la Chimeterre, que dans un univers qui essaie de coller à une réalité historique comme Les égarés d’Ys. Les patronymes participent à l’ambiance du récit, ils induisent des éléments culturels, des notions de société, voire d’histoire. Bref, ils font partie intégrante du background.

Les cinq voies du nom d’un personnage

Un nom de personnage, il va falloir se le coltiner parfois sur des centaines de pages, alors autant qu’il soit vraiment bien ! Certains y vont avec leur boule de cristal, d’autres font des diagrammes ou préfèrent le feeling total. Certains s’embêtent encore moins que ça. L’écrivaine Catherine Dufour explique dans un de ses ouvrages qu’elle ne donne pas de noms à ces caractères principaux pendant la phase d’écriture. A la place, elle leur attribue une lettre, qu’elle remplacera une fois le manuscrit achevé (vive le rechercher/remplacer). Pour ma part, j’ai besoin de connaître ce nom pour développer le personnage, car je crois que l’un construit l’autre.

Je ne prétends pas détenir la clé ultime du bousin, mais grosso modo, il y a cinq façons d’affubler un sobriquet à son personnage :

  • lui créer un nom, totalement imaginé à partir de rien ou presque (Shamïea Og Döllen) ;
  • l’affubler d’un nom tiré de ceux qui existent déjà (Samantha Pitt) ;
  • utiliser un mot commun, ou plusieurs (Le Maître des Clés) ;
  • lui composer son patronyme, ce qui n’est pas exactement la même chose que « créer » (Abraham Collinn) ;
  • ne pas le nommer du tout (l’homme sans nom).

Bien sûr, l’utilisation de l’une ou l’autre de ces options va beaucoup dépendre du genre d’histoire que l’on écrit, et de l’univers dans lequel elle se déroule.

Créer à partir de rien

Dans les univers totalement imaginaires, créer les noms est pratiquement une obligation. Vous pensez bien que le dépaysement littéraire risque d’en prendre un coup si votre extraterrestre s’appelle « Roger Lamour » (sauf si vous donnez dans la comédie décalée, évidemment). Mais si on se contente de piocher des syllabes au hasard et de les associer pour voir ce que ça donne, on risque de tomber sur l’un des nombreux écueils qui existent en matière de patronyme ex nihilo : manque de cohérence globale, répétitions et abus ridicules, complexité sur-exagérée…

Rak’ Rrrr Vvvv s’approcha de Kir’ Brrrrr tonnnn.
— Salutation, grand Mrr’T’Ogrrrr ! Je vous apporte un message de Fenk’ Errrr Shhh.
— Parle, émissaire des Jnn’G’Avnnnn, tout le Mmm’T’Ogmmmm t’écoute.

Vos lecteurs risquent de s’y perdre et d’avoir un foutu mal de crâne ! Vous croyez que j’exagère ? J’ai croisé ce genre « d’affreusités » dans un livre qui avait pourtant reçu pas moins qu’un Hugo, un Locus, un Nebula et j’en passe. Une lecture que je regrette encore.

Evidemment, il n’y a pas de recette miracle, sinon un petit malin aurait déjà créé quelque part sur le web un générateur automatique de patronymes imaginaires. Dans la Chimeterre, j’essaie de prendre en compte plusieurs éléments. D’une part, certaines sonorités font plutôt penser à un personnage féminin (na, elle, inne…), d’autres résonnent plus « masculin » (or, ic, ain…), du moins aux oreilles occidentales. Ensuite, comme c’est un univers où plusieurs cultures cohabitent, je cherche à introduire des récurrences, sonores, constructives ou typographiques dans les noms. En faisant cela, je ne fais que m’inspirer du réel (les McMachin écossais, les Bidulesson suédois ou les Van Trucmuche hollandais sont de bons exemples de récursivité culturelle).

Picorer dans l’existant

Pour les récits qui s’ancrent dans le réel, on dispose du gros avantage d’avoir une base de noms dans laquelle puiser. Mais notez que piocher dedans au hasard ou au feeling n’est pas nécessairement une bonne idée. Pourquoi ? Tout simplement par que les noms et prénoms que nous côtoyons tous les jours sont issus d’une histoire et d’une culture, ils sont porteurs d’un sens spécifique que nous avons souvent oublié.

Sérieux… maintenant à chaque fois que je le vois…

Je vous l’accorde, tout le monde ne soulignera pas que ce bon vieux Bob, là-bas, auquel vous avez donné une silhouette de morse avec la moustache qui va bien, ainsi qu’une pinte de bière greffée à la main, porte en guise de prénom le diminutif de « Robert », patronyme lui-même issue d’une lignée germanique et qui signifie « brillant, illustre ». (Quelqu’un pense-t-il à Bob l’éponge dans la salle ?).

Se renseigner un peu sur le sens d’un prénom ou d’un nom avant d’en affubler un de ses personnages ne peut jamais faire de mal. Plus prosaïquement, essayer de faire le choix en fonction de ce qui rend le personnage spécifique permet souvent de renforcer son caractère. Mon personnage est issu d’un métissage suédois/japonais ? BAM : Ingvar Takeda ! Attention, là on tient du gaillard qui en jette. Ingvar, est une référence à un dieu nordique, quant au Clan Takeda, il s’agit d’une puissante famille de daimyos. Et à la sonorité, on sent tout de suite le type un peu rugueux. Comment ça j’en fais trop ? Il faut savoir ce que vous voulez !

S’appuyer sur le sens des mots

Quand on écrit, il faut donner du sens aux personnages. Alors pourquoi ne pas commencer par donner du sens à leurs noms ? J’essaie de le faire dès que cela me semble pertinent. On peut s’appuyer sur le sens existant du patronyme que l’on utilise, comme on l’a vu plus haut. On peut aussi utiliser les méthodes du mot commun ou du nom composé.

Utiliser un nom commun comme nom de famille est très répandu, y compris dans la vie réelle. D’ailleurs, beaucoup de noms sont issus d’un mot commun (métier, lieu, adjectif…). Nos amis anglo-saxons sont devenus des experts pour rendre cool des noms qui sont dans le fond assez ridicules (Henri Potier, Jean Liaison, Rouge-gorge La Capuche…)

Dans la Chimeterre, certains personnages sont nommés selon ce procédé. « Broyeuse », par exemple. Ce n’est pas son nom original, mais un surnom qu’elle a gagné à la force de ses poings. A lui tout seul, il raconte une partie de son histoire. Cela me permet de l’ancrer dans un espace à part. Les Gueules sont souvent nommés d’après leur masque (L’Aurochs Rouge, la Buse, le Grand Harfang, le Cerf fauve…), c’est à la fois une facilité (soyons honnête), mais aussi un moyen de renforcer leur bestialité et la distance culturelle qui les sépare des autres protagonistes.

Dans le genre prénom téléphoné, vous avez déjà essayé de comptabiliser le nombre de personnages qui s’appellent Hope ?

Anagrammes et autres frivolités

Composer un nom, c’est nécessairement chercher à construire un patronyme en lui donnant un sens spécifique, sinon à quoi bon s’embêter ? Le plus souvent, il s’agit de donner une signification plus ou moins cachée au nom. L’anagramme est parfait pour ce genre d’exercice et j’aime l’utiliser à l’occasion. Il peut aussi s’agir de créer un nouveau nom en modifiant un mot existant et en s’attribuant ainsi une partie de ce qu’il signifie. Dans cette optique, le latin et le grec forment deux sources particulièrement appréciables, mais n’importe quelle culture ou sous-culture peut servir. J’affectionne spécialement la culture Geek.

Pour mon manuscrit de SF « ReVoltaire », je me suis ainsi inspiré du nom du peintre de rue Banksy pour le nom d’un de mes personnages : Eric Blowsky. Un choix motivé pour le côté contestataire de l’artiste. L’utilisation de « blow » n’est pas non plus anodin, puisqu’il s’agit d’un terme anglais associé à plusieurs sens qui collent au personnage (coup, souffler, exploser…).

Et l’homme (ou la femme) sans nom, dans tout ça ?

Par personnage sans nom, on ne parle évidemment pas d’un figurant qu’on pose dans une scène pour donner le change ou participer au décor. On parle d’un protagoniste qui participe réellement à l’intrigue, il peut même s’agir du personnage principal.

Or, faire le choix de ne pas nommer un personnage, c’est l’inscrire dans un cadre particulier. Son background, ses interactions avec les autres protagonistes en seront fortement impactés. Il peut s’agir d’une ficelle un peu grosse et déjà usée à la corde pour accentuer le côté mystérieux de l’individu, où d’un moteur narratif qui joue (au hasard) sur l’amnésie par exemple. Quoi qu’il en soit, ce choix n’est pas anodin et je déconseille de l’utiliser par facilité ou paresse, car on risque alors de tomber dans le cliché cité plus haut. Si un personnage n’a pas de nom, je pense qu’il faut qu’il y ait une raison (narrative de préférence).

Plus cliché que moi, tu meurs. Je l’ai inventé, je te dis !

Va crever.  Pt’être que t’es quelqu’un sans nom qui vient des hautes plaines, mais moi j’suis carrément personne et je viens de nulle part.


Mixer, secouer et trouver le bon cocktail

Pour illustrer l’importance que j’accorde au choix des noms de personnages, voici comment j’ai traité ceux des protagonistes de ma nouvelle Le gisant. Ils ont tous été choisis en fonction de leur sens et avec ces différentes méthodes.

Helena Astray : le personnage principal. Avec ce nom, on comprend tout de suite qu’elle est d’origine anglo-saxonne, mais « Astray » est aussi un nom commun. Littéralement, cela veut dire « Helena L’Egarée », ce qui est en rapport direct avec l’Univers d’Ys dans lequel se déroule cette nouvelle.

Otto : le compagnon d’Helena doit son prénom à un jeu de mot que je vous laisse découvrir si l’envie vous en dit ^^.

Célestine et Estelle : deux protagonistes secondaires. La première (qui se rapporte au ciel – grec) est une nonne qui pensent avoir reçu une visite divine. La seconde (étoile – latin) porte également un prénom en rapport avec les événements qui lui arrivent.

Angus Dupieut : cinquième et dernier protagoniste fictif nommé, est un inspecteur de police. Il s’agit d’un anagramme d’Auguste Dupin.

Nommez comme vous le sentez

Bon, assez déblatéré sur ma façon de choisir les noms de personnages. En fin de compte, quels que soient le moyen, la méthode ou la non-méthode utilisés, une seule chose compte vraiment au moment d’écrire, que le nom résonne avec le personnage, au moins pour vous. Le reste n’est que verbiage et fabulation.

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