Les super héros de Watchmen

Watchmen : univers génial, scénario bancal ?

Le comic d’Alan Moore et Dave Gibbons fait l’objet d’une nouvelle adaptation sous forme de série télévisuelle. C’est pour moi l’occasion de revenir sur cette histoire qui compte parmi mes préférées et de soulever un point qui m’a toujours dérangé. La toute-puissance du Docteur Manhattan.

J’adore Watchmen, notamment à cause de sa galerie de super héros cabossés, qui dénotait à l’époque de sa publication et continue de faire son charme aujourd’hui, ou de son ton irrévérencieux. C’est aussi une histoire où il n’y a pas fondamentalement de méchant. Le véritable ennemi, c’est la nature humaine.

Malgré cela, il y a toujours eu un truc qui me chiffonne concernant Watchmen. C’est que son intrigue est nouée autour d’un élément totalement disproportionné au regard du reste : la figure symbolique de l’homme devenu démiurge. Explications.

Attention, nous allons évoquer certains ressorts de l’intrigue de Watchmen. Si vous ne voulez par vous faire spoiler ou divulgâcher, comme disent si joliment nos amis québécois, passez votre chemin !

Réalité alternative et crise démiurge

La version numérisée du Docteur Manhattan, interprété par Billy Crudup dans l’adaptation de 2009 réalisée par Zack Snyder.

Watchmen se déroule dans une réalité alternative, en pleine guerre froide. Alan Moore nous raconte l’histoire d’une humanité sur le point de s’auto-détruire en provoquant un hiver nucléaire. Il met en scène un plan tortueux pour empêcher que cela se produise et faire en sorte que l’humanité, plutôt que de se faire la guerre, s’unisse autour d’une menace commune : le docteur Manhattan, homme devenu omnipotent suite à un accident nucléaire.

Il y a de nombreuses intrigues secondaires, mais tous les enjeux principaux tournent autour de ce personnage, y compris dans la réalisation du fameux plan d’Ozymandias, puisse qu’il en est à la fois le moyen et la cible.

Dans Watchmen Alan Moore s’amuse à détourner les codes des histoires de super héros. Quand on observe bien, il met seulement en scène des personnes surentraînées, qui disposent de quelques gadgets (le masque de Rorschach, le véhicule du Hibou, la supposée intelligence supérieure d’Ozymandias, etc.). La seule véritable exception c’est, justement, le Docteur Manhattan.

Ce personnage est troooooop puissant.

Dans ce dernier cas, nous avons un exemple caricatural de surhomme, dans son sens littéral. Celui d’une personne qui est parvenue à dépasser sa condition humaine. En l’occurrence, il s’agit d’un pur esprit qui a acquis la maîtrise de la matière à l’échelle atomique. Cet esprit possède le don d’ubiquité, est immortel et indestructible, représente une source inépuisable d’énergie et pourrait vaporiser la Terre d’un claquement de protons en dispersant les atomes de la planète dans le système solaire. Bref, c’est un dieu. Ses seules limites se trouvent dans les vestiges humains de sa psyché.

Ce personnage est troooooop puissant. Et c’est là que se situe le problème de Watchmen.

Quand c’est trop puissant, ça déglingue tout

C’est un travers bien connu des scénaristes et écrivains. Quand vous intégrer dans votre histoire un élément qui peut résoudre (ou foutre en l’air) toute l’intrigue d’un claquement de doigts, vous avez un problème. Quelle qu’en soit la raison : super-pouvoir, super-technologie, ou simple gadget pratique dont vous n’avez pas mesuré la portée.

Pour résoudre ce problème, le plus évident serait de ne pas intégrer d’éléments de ce genre. Cependant, ils font parfois partie du propos de l’histoire. Comme dans Watchmen avec le Docteur Manhattan.

Celui-ci n’est pas uniquement un dieu de crayon et de papier, c’est aussi et surtout une fonction symbolique. Celle d’une humanité qui cherche à contrôler des forces qui la dépassent. Celle d’une humanité qui se veut démiurge face à la nature. Il est toutes les promesses et tous les cauchemars de l’atome. Sans ce symbole, l’histoire d’Alan Moore n’a plus aucun sens.

Les solutions, dans ce cas là, consistent à poser autant de limites que possible à notre élément perturbateur, et éviter de le mettre trop en avant. Le but est que les lecteurs oublient à quel point il est déstabilisateur pour l’histoire. Honnêtement, en utilisant notamment des ressorts psychologiques, Alan Moore se débrouille plus que pas mal dans Watchmen.

Le symbole avant toute chose

Avec les capacités dont dispose le Docteur Manhattan, on peut imaginer mille façons positives de stopper le risque de guerre nucléaire. Notre divinité atomique pourrait faire disparaître tout l’arsenal mondial, par exemple. Surtout, on peut sérieusement remettre en question le fait qu’un être pratiquement omniscient puisse se laisser berner aussi facilement.

I’ve walked accros the sun. I’ve seen events so tiny and so fast they hardly can be said to have occured at all, but you… You are a man. …And this world smartest man means no more to me than does its smartest termite.

Le Docteur Manhattan imself, s’adressant à Ozymandias

Au lieu de cela, l’histoire nous offre une vision pessimiste, qui nécessite le sacrifice de la divinité. Un choix qui est fortement symbolique. La justification générale, c’est que l’humanité est incapable de s’unir autrement que contre l’adversité et que le Docteur Manhattan, par la peur qu’il provoque du simple fait de son existence, est une source du problème, plutôt que la solution. C’est très habile de la part d’Alan Moore.

Pourtant, le sentiment qu’à tout moment cet élément peut changer la donne de l’histoire demeure. Et tout au long de son récit, Alan Moore doit sans cesse en justifier le déroulement. Jusqu’au dénouement, qui pose de réelles questions de cohérence. Alan Moore va dans le sens de son propos, mais il est également poussé dans ses derniers retranchements d’équilibriste. Les justifications comportementales des personnages, et notamment du Docteur Manhattan, paraissent, à la toute fin, bien triviales au regard des enjeux, des efforts déployés et surtout des capacités de ce divin protagoniste.

Une vaste blague cosmique

Watchmen — scénario Alan Moore, dessin Dave Gibbons, couleur John Higgins.

Globalement ça fonctionne, mais même avec tout le talent dont est capable Alan Moore, le problème ne peut être totalement résolu. C’est là un des enseignements que je retiens de Watchmen.

Mais après tout, et Alan Moore nous le dit à travers ses personnages, tout ceci n’est qu’une blague.

I mean, this joke, I mean, I thought I was the Comedian, y’know?

The Comedian



Si cet article vous a plu, partagez-le ou venez échanger avec moi sur les réseaux sociaux !