Une foule se presse sur un pont et passe sous des arches corinthiennes surmontées de statues d’or. Les vêtements sont colorés et les gens en liesse. Les fontaines rigolent d’eau claire et, à l’arrière plan, des bâtiments majestueux aux colonnes doriques évoquent le passé triomphant. Ils surplombent une rade chargée de navires qui se reflètent dans une mer scintillante. Symboles d’une cité florissante.
Cette oeuvre de Thomas Cole est la 3e scène d’un ensemble de cinq tableaux qui dépeint l’élévation et la chute d’un empire. Cet ensemble résume en cinq décors, une histoire complexe et mouvementée, ici présentée à son apogée.
Idée, décor, personnages, événement et style sont les cinq éléments indispensables qui composent une histoire, mais leur importance n’est pas égale selon les histoires. Qu’en est-il quand le décor est la force directrice d’un récit ?
Cet article fait suite à celui sur Les cinq éléments de l’alchimie romanesque. Si vous ne l’avez pas lu, je vous invite à le faire.
Explorer l’inconnu
Dans les récits centrés sur le décor, l’enjeu principal est de parcourir le monde où se déroule l’histoire et de l’explorer. Bien sûr, les protagonistes vivent de nombreuses péripéties, mais celles-ci sont corollaires à l’exploration.
La structure basique
1) Les personnages se retrouvent (de façon volontaire ou non) dans un milieu qui leur est inconnu.
2) Ils explorent ce milieu.
3) L’histoire se termine quand les protagonistes quittent le milieu inconnu pour revenir au leur (ou intègrent le milieu).
Par essence, ce sont des récits de voyages. Comme dans la littérature maritime, ou celle qui consiste à mettre en scène des mondes extraordinaires, comme celui de Gulliver. On le retrouve même dans des récits comme Utopia de Thomas Moore. Jules Verne a également beaucoup fait appel à ce procédé pour ses voyages extraordinaires.
Dans Voyage au centre de la Terre, on pourrait d’abord croire à un roman à idée. On commence avec un mystère à résoudre, le déchiffrement d’un manuscrit runique. Mais celui-ci se révèle rapidement être une variation de la carte au trésor, une amorce. Le voyage en Islande, puis dans les régions souterraines occupe la majeure partie du récit. Celui-ci s’achève une fois que les protagonistes sont remontés à la surface, dans l’univers connu. D’ailleurs, dans les nombreuses adaptations du roman, l’amorce est régulièrement modifiée sans que cela n’ait d’impact sur le fond. C’est le cas dans le film de 2008 avec Brendan Fraser, il s’agit de retrouver un frère/père disparu. Les multiples découvertes et rencontres qui découlent du voyage restent le moteur principal de l’intrigue.
Les odyssées et la quête du retour
Si certaines de ces histoires prennent des accents de joyeuse balade dans un monde coloré et merveilleux (Le magicien d’Oz, Charlie et la chocolaterie…), dans d’autres cas la quête du retour devient l’enjeu principal du récit. C’est l’explorateur qui arrive sur le nouveau monde, mais dont le moyen de transport est détruit ou inutilisable (Le monde perdu, Le cycle de Tsaï…).
Le protagoniste se retrouve devant un paradoxe. Piégé dans un monde qui n’est pas le sien, il doit l’explorer pour en sortir. On pense inévitablement à Ulysse, mais le scénario de Cube propose exactement le même enjeu. C’est même un excellent exemple d’histoire centrée sur le décor.
Partir ou rester ?
La plupart du temps, les protagonistes finissent par repartir. Mais dans certains cas, le protagoniste principal décide de rester. On a ici une variante, qui généralement débute en montrant clairement que le protagoniste ne parvient pas à trouver sa place dans le monde normal. Cela permettra de justifier plus tard qu’il demeure dans un monde différent, mais où il se sent chez lui. Mais il peu arriver que le retour est tout simplement impossible.
Je trouve que la Planète des Singes (le film) est un cas très intéressant (attention spoiler). Le héros se crash sur une planète qu’il pense être étrangère pour finalement se rendre compte qu’il s’agit de son monde natal, transformé pendant les plus de mille ans qu’ont duré son voyage spatial. L’histoire se termine donc sur une révélation choc. Pour autant, ce n’est pas une histoire à idée, car le protagoniste passe le plus clair de son temps à explorer la planète.
Un principe qui n’est pas réservé aux mondes magiques ou exotiques
Certains types de récit imposent, pour ainsi dire, une histoire centrée sur le décor. Comme celles qui utilisent la mécanique du rêve (le protagoniste s’endort, il réalise un parcours onirique, puis se réveille). Toutes les histoires qui prennent une personne lambda qui vit dans notre univers, pour la projeter de façon magique/scientifique/accidentelle/onirique/etc. dans un univers inconnu sont, fondamentalement, contraintes à ce schémas.
Toutefois, on peut également appliquer ce type d’histoire dans des univers plus conventionnels.
Une jeune femme arrive de sa campagne dans une mégalopole. Au gré de ses rencontres et de ses découvertes, elle explore la ville et apprend à l’aimer/la détester, puis décide de partir ou rester.
Un membre de la police antigang est missionné pour infiltrer un groupe mafieux. Au gré de ses rencontres et de ses découvertes, il explore le milieu du banditisme et apprend à l’aimer/le détester, puis doit choisir entre sa mission et les amitiés qu’il s’est créé.
Bon, je crois que vous avez compris. On peut décliner à l’infini. Dans le cas des pitchs/clichés ci-dessus, décider de centrer l’histoire sur l’exploration du « décor », plutôt que sur les « personnages » ou un « mystère », devient un choix narratif. Ça ouvre les perspectives, non ?
- Les histoires à idée : énigme, mystère et révélation
- Les histoires à décor : exploration et découverte
- Les histoires à personnages : motivation personnelle et évolution
- Les histoires à événement : équilibre et refondation
- Les histoires à style : exercices et genre
- Les histoires alchimiques : quand tout s’imbrique