La liberté guidant le peuple - Delacroix

Les histoires à événement : équilibre et refondation

Est-il besoin de présenter ce tableau de Delacroix ? En pleine vague de romantisme, la révolution de juillet devient l’exutoire d’un patriotisme réincarné et populaire. Les regards sont tournés vers l’action, vers cette allégorie qui les guide. Un seul regarde dans notre direction, un gamin qui nous invite à les rejoindre. Un gamin qui inspirera à Victor Hugo un certain Gavroche…

Idée, décor, personnages, événement et style sont les cinq éléments indispensables qui composent une histoire, mais leur importance n’est pas égale selon les histoires. Qu’en est-il quand l’événement est la force directrice d’un récit ?

Cet article fait suite à celui sur Les cinq éléments de l’alchimie romanesque. Si vous ne l’avez pas lu, je vous invite à le faire.

Quelque chose se prépare…

Quelque chose ne va pas dans la façon dont le monde fonctionne, ou bien c’est le monde lui-même qui est menacé. Apocalypses, visées hégémoniques, tempêtes, guerres, pandémies, génocides, monstres sortis de nulle part, Winter is coming… ces trublions d’événements en font voir de toutes les couleurs à leurs univers respectifs et malmènent les personnages.

La structure basique
1) le monde dans lequel les personnages évoluent est la proie d’un déséquilibre.
2) les actions des personnages sont corollaires à ce déséquilibre.
3) l’histoire se termine quand le déséquilibre prend fin, soit que l’équilibre du monde a été rétabli, soit qu’un nouvel équilibre a pris la place de l’ancien.

Les scénarios catastrophe sont typiques de ce genre d’histoires. Dans Le jour d’après, le déséquilibre est incarné par une immense dépression glaciaire. Les personnages luttent pour leur survie. L’histoire se termine quand la tempête s’achève (et que les héros ont survécu).

Parfois, le déséquilibre prend la forme d’une lutte entre plusieurs puissances, avec des vues antagonistes et des visions du monde opposées.

Dans Salammbô, Flaubert met en scène un conflit entre une coalition disparate de mercenaires et de peuplades d’une part, et la cité de Carthage d’autre part. Le déséquilibre naît de l’incapacité de Carthage à payer ce qu’elle doit aux mercenaires. Cette défaillance va provoquer une série d’événements dans lesquels les personnages seront ballottés. L’histoire se termine quand la rébellion des mercenaires est matée et leur chef tué. L’équilibre a été rétabli. Salammbô, tout comme Mato et Hamilcar, sont des personnages symboles. Mato incarne l’esprit de la rébellion, Hamilcar celui de l’ordre établi, Salammbô la tentation d’un autre possible.

L’élu qui doit ramener l’équilibre (dans la Force)

La figure de l’élu est un cliché que l’on rencontre très régulièrement dans les histoires à événement. L’élu peut revêtir plusieurs formes. Sauveur, protecteur, guide… C’est un personnage symbole qui incarne à lui tout seul le concept de basculement vers un nouvel équilibre.

Les exemples ne manquent pas (Harry Potter, Matrix…) qui y vont souvent avec des gros sabots, genre :
— Tu es l’élu.
— Quoi ? Mais, j’ai rien demandé, moi ! Je veux pas !
— Rien à foutre, t’es l’élu. Alors tu fermes ta gueule et c’est marre. Va sauver le monde !
— Ah ? Bon. Ok.

Dommage, parce qu’il est tout à fait possible d’aborder le thème de l’élu avec délicatesse et (un peu) de subtilité.

Dans Nausicaa de la Vallée du vent, Miyazaki dépeint un monde dont la nature a été déséquilibrée voilà des siècles par l’humanité, suite à l’usage d’armes effroyables, probablement de nature atomique. L’ancien monde se meurt et une nature nouvelle prend sa place : la forêt toxique et ses insectes géants, la Fukaï. Les hommes pensent que la Fukaï finira par recouvrir le monde si rien n’est fait. Ce qui signifiera la fin de l’humanité. Mais la lutte semble vaine et dès le début, Miyazaki expose l’idée d’un élu. Un être qui descendra du ciel sur un tapi doré et guidera les hommes vers leur salut.

Dans ce contexte, le personnage de Nausicaa incarne une autre voie. Elle ne voit pas dans la Fukaï un ennemi. Au contraire, elle a compris que cette nouvelle flore nettoyait le sol, rendu toxique par les hommes. Elle va apprendre aux hommes à vivre en harmonie avec la Fukaï. Pour cela, elle devra pratiquement se sacrifier. Bref, Nausicaa est l’élue dont parlent les légendes (sérieux, vous ne l’aviez pas vu venir ? rhooo).

La dystopie, le déséquilibre au cœur du système

La dystopie est presque devenue un cliché en soit, tant elle a été exploitée. Dans cette configuration, le scénario de l’événement présente quelques variations. Au début du récit, les personnages ignorent que le monde est la proie d’un déséquilibre, ils pensent même que tout est pour le mieux. Bien sûr, ils découvrent assez rapidement le truc, faut pas déconner.

1984, Brasil, Le meilleur des mondes… les exemples ne manquent pas. D’autant ces dernières années où on a vu fleurir sur les écrans des dizaines de variation de la combo dystopie/élu adolescent (qui nous fait son rite du passage à l’age adulte en prime). Merci les recettes toutes prêtes made in USA. Hélas, cela tend à déprécier le genre.

C’est dommage, la dystopie est un sous-genre très intéressant, qui peut fleurter avec les histoires à mystère et de complot. Car en effet, derrière toute bonne dystopie, il y a un (ou plusieurs) mensonge à découvrir.

Ainsi, dans Simulacres, Philip K.Dick met un scène des États Unis d’Europe et d’Amériques (USEA) où les dirigeants ne sont que des pantins artificiels et la première Dame une actrice que l’on remplace dès qu’elle devient trop vieille. Ces simulacres servent à occuper médiatiquement ce qui reste de l’humanité, dans un monde manipulé par des conglomérats pharmaceutiques qui implémentent de fausses phobies à tour de bras pour mieux vendre leurs pilules. Un univers où chacun est tenu de jouer un rôle qu’il ne choisit pas et où il ne reste plus qu’un psychiatre en activité. Le seul qui puisse peut-être faire tomber les masques.

Vous avez dit paranoïaque ? Heu… Oui. Sans aucun doute.