Diego Velasquez : Les ménines

Les histoires à personnages : motivation personnelle et évolution

Au milieu de la scène, l’infante, lumineuse de blondeur, semble au centre de toutes les attentions. Pourtant, les regards se portent vers le spectateur, à commencer par celui du peintre. A moins que ça ne soit le sujet de ce dernier qui attire leur attention, ce couple royal dont le reflet apparaît dans le miroir au fond de la pièce… Qui regarde qui ?

Ce que peint Velasquez dans Les Ménines, c’est non seulement une galerie de personnages, mais aussi les relations tissées entre eux, y compris avec nous, qui les observons.


Idée, décor, personnages, événement et style sont les cinq éléments indispensables qui composent une histoire, mais leur importance n’est pas égale selon les histoires. Qu’en est-il quand les personnages sont la force directrice d’un récit ?

Cet article fait suite à celui sur Les cinq éléments de l’alchimie romanesque. Si vous ne l’avez pas lu, je vous invite à le faire.

Une affaire de besoin et de motivation

Vous lirez très souvent que, dans une fiction, les personnages doivent évoluer. Ils doivent posséder un arc narratif qui débouche nécessairement sur un changement du personnage. Quand l’histoire se termine, les personnages ne sont plus les mêmes.

Rien n’est moins impératif. Il existe en effet des histoires qui sont centrées sur l’évolution (ou la non évolution) de leur protagoniste principal. Mais ce n’est qu’un des types d’histoires possibles. Ce qui est au cœur des histoires à personnages, ce sont leurs motivations, et celles-ci ne découlent pas nécessairement d’un besoin d’évolution. Car les motivations sont générées par des besoins, tous types de besoins (amour, vengeance, avidité…).

Dans Le Comte de Monte Cristo, la nature d’Edmond Dantès, n’est pas fondamentalement modifiée par la réussite de son entreprise de vengeance, il a simplement réussi à assouvir ce besoin et s’en libérer.

La structure basique
1) Le (ou les) personnages a un besoin d’ordre personnel à assouvir.
2) Il entame une série d’actions pour assouvir ce besoin.
3) L’histoire se termine quand le besoin est assouvi, ou que le personnage abandonne ses tentatives pour l’assouvir pour une raison ou une autre (la mort du personnage est une très bonne raison).

Une affaire de psychologie

Dans les histoires à personnages, le ressort psychologique est très important, certains romans s’articulent tellement autour de ça, que l’on va leur accoler le terme psychologique pour les définir (le fameux thriller psychologique).

Frankenstein, ou le Prométhée moderne est très intéressant à ce propos. D’abord, parce que nous avons plusieurs récits enchâssés entre eux (Walton, Frankenstein, la créature) où chacun raconte sa vie et rapporte son point de vue. Ensuite, les ressorts du roman s’appuient sur une succession de désirs inassouvis. Frankenstein veut créer une forme de vie parfaite et échoue (de son point de vue, il a créé un monstre). La créature veut se faire aimer, mais les hommes la trouvent trop monstrueuse, puis son créateur refuse de lui créer une compagne à son image. La créature veut alors se venger de son créateur, ce qui entraînera la perte de Frankenstein, mais aussi celle de la créature qui finira par se rendre compte qu’elle se définissait dans son rapport avec son créateur et que sans lui, sa haine et son besoin de vengeance se retrouvent sans objet et son désir d’être aimé restera probablement à jamais inassouvi (si elle n’a pas su gagner l’affection de son géniteur, qui pourrait bien l’aimer ?).
Frankenstein, au contraire, se définit par la peur. Peur de la mort, peur de sa création, peur de créer une lignée de monstre. Ce n’est qu’une fois qu’il a tout perdu (amis, famille, amante…) qu’il se laisse aller à un autre sentiment, la haine (où il rejoint enfin sa créature).
Dans ce roman, le besoin initial de la créature (se faire aimer) est le moteur principal de l’intrigue. Ce n’est pas un hasard si, quand on évoque Frankenstein, ce n’est pas le docteur à qui on pense, mais à sa création. Cette dernière est la véritable protagoniste. C’est l’histoire de sa naissance et de sa mort.

Des ponts et des passages

J’ai dit plus haut que le fait d’avoir des personnages qui évoluent n’était pas un impératif, mais de fait, beaucoup d’histoires à personnages traitent effectivement d’une évolution. Depuis la nuit des temps, l’homme raconte des histoires autour des rites de passage.

C’est l’enfant qui devient adulte, c’est la nécessaire acceptation du deuil, c’est la quête de soi. C’est le menteur invétéré qui découvre les bienfaits de l’honnêteté, c’est l’introverti qui apprend la confiance et l’ouverture aux autres, c’est le déprimé qui se laisse gagner par les joies de la vie, c’est le cupide égoïste qui s’abandonne à l’altruisme désintéressé… Autant de thèmes récurrents qui ont été traités de mille façons différentes et le seront à nouveau de mille autres façons.

Dans Eternal Sunshine of the Spotless Mind, les personnages souhaitent pouvoir oublier pour évoluer et passer à autre chose. Intelligemment, le scénario met à leur disposition une technologie qui permet justement de supprimer des souvenirs. Petit bémol, la technologie n’est pas parfaite, sans compter leur nature qui revient toujours au galop. Les personnages vont devoir se réapprendre, et littéralement, faire avec leurs souvenirs brisés.

Déclencher le besoin

Le désir de vengeance est une motivation extrêmement forte. Mais on pourrait aussi être tenté de dire que l’acte qui a fait naître ce désir est un événement. En effet, sans un préjudice quelconque subit par le personnage, celui-ci n’aurait pas envie de se venger. Et toutes les histoires de vengeance commence par exposer le préjudice en question. Les récits de vengeance ne seraient-ils donc pas plutôt des histoires à événement ? C’est un point de vue qui se défend très bien.

Mais on pourrait dire la même chose d’une histoire de romance qui débuterai par une scène de rupture. En fait, il y a toujours quelque part un événement qui fait naître le besoin du personnage. Mais il s’agit d’événements passés, qui n’ont plus cours. Les rape&revenge, un sous-genre de slash movie (assez malsain) exploite pleinement ce phénomène. La scène de déclenchement ne sert pas l’intrigue, elle permet seulement de lancer l’héroïne dans sa frénésie vengeresse.

La scène de préjudice ou celle de rupture ne sont que des déclencheurs, comme la carte au trésor dans un récit d’exploration. La motivation du personnage (se venger, retrouver l’amour), elle, habite le récit.