William Turner : Whalers

Les histoires à idée : énigme, mystère et révélation

Dans un paysage à peine tangible, cotonneux, on devine une voile qui se dessine… Ce tableau de William Turner est presque une esquisse, mystérieuse, il laisse la part belle à l’imagination. Qu’avons-nous devant ? Des récifs ? Des rameurs poursuivant une baleine ? Peut-être tout autre chose ?

Idée, décor, personnages, événement et style sont les cinq éléments indispensables qui composent une histoire, mais leur importance n’est pas égale selon les histoires. Qu’en est-il quand l’idée est la force directrice d’un récit ?

Cet article fait suite à celui sur Les cinq éléments de l’alchimie romanesque. Si vous ne l’avez pas lu, je vous invite à le faire.

Plongée en eau trouble

Quand l’idée est au cœur du récit, c’est généralement qu’une énigme est posée aux personnages et que ceux-ci devront la résoudre, ou s’y essayer. Les récits policiers sont presque toujours construits autour d’une énigme, mais c’est le cas également dans pas mal d’autres genres, comme la hard science-fiction.

La structure basique
1) Le mystère est exposé.
2) Les protagonistes s’efforcent de le résoudre.
3) Le mystère est résolu.

Cette structure n’est pas réservée aux enquêtes policières. Il peut s’agir d’un mystère scientifique, d’un mystère politique, de découvrir un secret (où se situe la planète-mère des aliens ? Quel est l’ennemi qui cherche à nous détruire ?).

Ainsi, dans Chronique des Ombres, Pierre Bordage expose une situation complexe dans laquelle de mystérieuses Ombres déciment ce qui reste de l’humanité dans un monde pots-apocalypse nucléaire. La résolution du mystère ce conjugue ici avec un enjeu de survie pour l’espèce humaine.

Un mystère, mais pour qui ?

La plupart du temps, le lecteur cherche et découvre le mystère en même temps que les protagonistes. L’auteur sème des indices et le lecteur peut deviner la nature du mystère avant sa révélation. Mais parfois, le mystère sera volontairement révéler aux lecteurs, tout en restant inconnu des protagonistes, comme dans la série des Columbo. Le mystère demeure le moteur de l’intrigue, mais l’intérêt du lecteur se déplace. La question devient, comment le personnage va-t-il résoudre le mystère ?

Dans les deux cas, il s’agit d’un cheminement qui consiste à collecter des indices et les assembler pour compléter un tableau.

La figure de l’investigateur

Dans les histoires à idée, les personnages sont, pour ainsi dire, condamnés à être des investigateurs. Enquêteur, journaliste, scientifique, mandataire… Ce qu’il y a de merveilleux avec cette figure, c’est qu’elle peut se décliner presque à l’infini, dans tous les genres, à toutes les époques.

Le genre de la fantasy c’est bien renouvelé en déplaçant l’archétype du détective dans des univers merveilleux. Dans Rue Farfadet, Raphaël Albert raconte les enquêtes de Sylvo Sylvain, détective privé. Avant lui, Mathieux Gaborit mettait en scène le farfadet (déjà) Maspalio, ancien prince Voleur, engagé pour retrouver un démon dans la cité baroque, gargantuesque et ténébreuse d’Abyme. Et comment ne pas citer Pierre Pevel et son Chevalier Kantz, tout à la fois exorciste et enquêteur, qui officie dans cette bonne vieille ville de Wielstadt ?

  • Des morts étranges dans une abbaye du nord de l’italie ? Envoyez un inquisiteur !
  • On soupçonne des possessions démoniaques du côté de Seattle ? Envoyez un exorciste !
  • Un trouble psychologique dont on ignore les causes ? Envoyez un psychiatre !
  • Découvrir pourquoi une civilisation antique a mystérieusement disparu ? Envoyez un archéologue !

Posez votre mystère, checkez la liste des investigateurs, et le tour est joué.

Ne pas confondre idée et message

Quand on raconte une histoire, il peut être tentant de l’utiliser pour délivrer un message. Beaucoup de romans et de films font cela. Ils racontent une histoire tout en défendant telle cause ou dénonçant telle autre. C’est très louable. Toutefois, le risque est grand de tomber dans la caricature, ou de forcer le trait pour le besoin du message que l’on souhaite faire passer, souvent au détriment du récit. C’est encore pire quand délivrer le message est l’idée !

Ma philosophie sur la question est relativement simple. Les gens ne lisent pas des romans pour se voir donner une leçon. D’autant plus si c’est une leçon qu’ils n’ont pas choisie. Ils lisent des romans pour s’évader, passer un bon moment, être surpris, ressentir des émotions. S’ils veulent une leçon, ils liront un essai plutôt qu’un roman.

Ne racontez pas une histoire de méchants terriens qui colonisent une planète de gentils aliens parce que vous voulez dénoncer les méfaits de la colonisation et de l’esclavage en Afrique, par exemple. Racontez plutôt l’histoire de Bobette, une scientifique de NeoWorld Corp, envoyée sur la planète Alpha pour y étudier les Centaures qui y vivent. Bobette apprend sur place que NeoWorld Corp songe sérieusement à commercialiser du steack de Centaures. La société a déjà commencé à les parquer et le chef cuisinier galactiquement connu, JP Kuff, teste les premières recettes. La mission de Bobette est justement d’aider NeoWorld Corp à obtenir l’agrément pour faire classifier les Centaures comme bétail, dernier frein à leur projet. Que va faire Bobette ? Après tout, ces Centaures ne sont que des gros canassons avec un buste. C’est à peine s’ils baragouinent une langue. À moins que…

Si vous avez des causes qui vous tiennent à cœur, celles-ci transparaîtrons naturellement dans vos romans, notamment aux travers des thèmes que vous déciderez d’aborder et la façon dont vous les traiterez. Mais par pitié, ne faite pas de vos messages les idées de vos romans !