La narratologie, c’est un truc compliqué, avec énormément d’approches, des mots savants pour se la péter, genre sémiotique, diégétique, focalisation… La barbe, quoi. Sans compter qu’il y a des modes, des tendances, des ayatollahs qui prétendent avoir trouvé LA trame narrative ultime en 42 étapes… Perso je préfère m’en tenir à Aristote et son classique début/milieu/fin.
Oublions tout ça et partons sur une base simple.
Parlons un peu du quotient MIPE
Le quotient MIPE est un outil pensé par Orson Scott Card, pour aider les auteurs à mieux comprendre de quoi parlent leurs histoires et franchement, c’est très pratique. Card part du principe que quatre éléments conditionnent la structure d’une histoire (Milieu, Idée, Personnage et Événement). La structure de l’histoire découle de l’élément le plus important.
Si vous ne connaissez pas déjà le quotient MIPE et que vous souhaitez en savoir plus, je vous invite à faire une recherche sur internet, ou lire son livre. Car je ne vais pas vous exposer en détail le quotient MIPE. Des tas de gens le font très bien, à commencer par Card lui-même.
Si j’en parle, c’est qu’il est une des bases de ma réflexion sur les cinq éléments qui composent une histoire. Disons que c’est une version remaniée du quotient MIPE. Une espèce de quotient SPIDE (Style, Personnages, Idée, Décor, Événement). Bon, comme je n’aime pas trop les acronymes, parlons plutôt des Cinq éléments de l’alchimie romanesque.
Cinq éléments ?
Autant être clair d’entrée. Il s’agit ici d’une grille de lecture, mais en aucun cas d’une vérité absolue. Ça serait trop restrictif. Je déteste mettre les choses dans des cases. Pour paraphraser une réplique célèbre, il s’agit plus d’un guide que d’un véritable code.
D’ailleurs, ce chiffre de cinq est un peu arbitraire. J’aurais pu m’arrêter à quatre, comme Cards, comme les quatre éléments classiques en occident. Ou faire l’effort d’en trouver un sixième, feignasse que je suis. Mais non, ça sera cinq. Comme les éléments chinois, les sens, les doigts de la main, etc. (un jour il faudra que je fasse un article sur le thème des éléments).
Mais ce chiffre et le choix de parler d’éléments ne sont pas complètement liés au hasard ou l’arbitraire. Ces cinq éléments sont les composants fondamentaux sans lesquels aucune histoire ne peut exister. Il est naturel qu’ils aient une influence majeure sur la narration, et que la réussite du livre, son alchimie, dépend de l’harmonie entre ces cinq éléments.
Premier élément : l’idée
Toute histoire part d’une idée. Cette idée peut être un simple prétexte, ou bien elle peut être le cœur de l’intrigue. Elle n’a pas besoin d’être originale – d’ailleurs, elle l’est rarement – ni nécessairement très élaborée. On peut se contenter d’un concept générique, ou avoir un pitch poussé.
Voici deux exemples d’idées qui pourraient (c’est tout à fait hypothétique, hein ?) avoir été chacune à l’origine d’un roman célèbre.
- J’imagine un meurtre dans un train dont tous les passagers seraient coupables, même que les passagers seraient au nombre de 12, comme les jurés.
- Je fantasme une histoire de vampires troooop beaux qui brillent au soleil.
L’idée est indispensable. Sans idée… pas d’histoire à raconter.
Deuxième élément : le décor
Orson Scott Card parle de Milieu, John Truby d’Univers. Le principe est globalement le même. C’est le cadre dans lequel l’histoire se déroule. Il peut s’agir d’une seule pièce, si on est dans un huis clos, voire, un lieu aussi étriquée qu’un cercueil (Buried) ou bien un monde entier, avec ses peuples, ses coutumes, ses langues, sa géographie… voire, une galaxie où les héros voyagent entre les systèmes et les planètes. Il peut se situer dans le passé, le présent, le futur, ou même dans une autre dimension intemporelle.
Mais, quoiqu’il arrive, une histoire se passe toujours quelque part, même si ce quelque part est le néant.
Sans un décor où prendre place… pas d’histoire à raconter.
Troisième élément : les personnages
Une histoire sans personnage, c’est un peu comme une tartiflette sans fromage ni patates, une pana cota sans crème fraîche, un sashimi sans poisson, un… Bref, il y a toujours des personnages dans les romans. Ce sont ceux et celles pour qui le lecteur va développer de l’empathie et vouloir suivre les aventures. Ceux pour lesquels l’auteur va développer des arcs narratifs, des personnalités, des motivations, etc.
Les personnages n’ont pas besoin d’être humains, ou même vivants. Mais ils doivent être capables d’agir.
Vous pouvez très bien raconter une histoire du point de vue d’un réveil qui expose tout ce qui se passe dans la chambre où il est posé. Mais si dans son champ de vision, il n’y a que des objets inanimés… rien ne se passera !
Sans personnages pour agir… pas d’histoire à raconter.
Quatrième élément : les événements
Il se passe toujours plein de chose dans les histoires. Et quand on met bout-à-bout toutes ces choses, on obtient une sorte de fil narratif.
Ok, parfois, ces événements se réduisent à peau de chagrin, comme dans En attendant Godot. Mais dans d’autres, les événements sont le moteur principal de l’intrigue et au cœur des enjeux (les personnages arriveront-ils à détourner cette énorme comète qui fonce sur la terre ?).
Si rien ne se passe… pas d’histoire à raconter.
Cinquième élément : le style
Ça parait évident, mais un roman est composé de mots. Et leur nature ainsi que la façon dont ils sont agencés forme tout autant l’histoire que le style. Mais le style inclut aussi les choix techniques, comme les points de vue narratifs, le choix de la personne, du narrateur, des temps, du niveau de vocabulaire, mais aussi toute la sensibilité propre à l’écriture de chaque écrivain.
Que l’on choisisse d’opter pour une écriture simple qui maximise la fluidité de lecture, ou un ton très poétique, le style va participer de l’ambiance du livre et son attrait. Un livre sans style, ça n’existe. Par contre, on tombe souvent sur des livres au style sans saveur/illisible/lourd/etc.
Et la question du style vaut aussi pour les autres médiums (film, animation, bande-dessinée…). Le style peut être effacé ou au contraire très marqué, mais il est toujours présent et ne doit pas être négligé. Une histoire extrêmement basique, avec des personnages falots, peu être sauvée par son style.
Le style, c’est la manière de raconter. Sans manière… pas d’histoire racontée.
Ok, on a nos cinq éléments, et ensuite ?
Si on résume, avec ces cinq éléments nous avons en fait les réponses au fameux QQOQPC.
- Qui : les personnages
- Quoi : les événements
- Où et Quand : le décor
- Comment : le style
- Pourquoi : l’idée
Ces cinq éléments composent l’ossature d’une histoire, sa matière première. Quelque-soit le projet (roman, saga, nouvelle, film, série…), ils sont là. Ils sont d’ailleurs tellement indissociables de la nature même d’une histoire, que le type d’histoire que l’on raconte découle de l’élément le plus important dans le récit. Un livre centré sur les personnages sera très différent d’un autre, centré sur les événements. Certes, le style est un peu à part. C’est dans doute pour cela que Card n’en parle pas. Il est pourtant tout aussi important que les autres, et lui aussi peu influer sur la manière de raconter et structurer un récit.
Quelles sont ces différences ? Qu’est-ce que cela implique pour le scénario ? C’est ce qu’on va essayer de voir dans les articles suivants.
- Les histoires à idée : énigme, mystère et révélation
- Les histoires à décor : exploration et découverte
- Les histoires à personnages : motivation personnelle et évolution
- Les histoires à événement : équilibre et refondation
- Les histoires à style : exercices et genre
- Les histoires alchimiques : quand tout s’imbrique